Qu'a-t'il bien pu se passer sous les frondaisons de Val Boissambre ?
Dans les archives de l'Arche du savoir...
Les Kaltans étaient venus de tout le Continent. Le clan du Yack des plaines de Pas-Norska, prudent, avait pris le risque d'arriver en retard pour prendre le temps de bien connaître les environs de Val Boissambre. Les porteurs de jupe Caimbeul avaient pris des risques insensés, par la terre et la mer, pour venir des piémonts du Narok. Les mystérieux Fanàks aux yeux de sable, aux orcs querelleurs et au verbe chaud comme le vent de leur désert avaient fait à pied le chemin depuis le Nanchéro aride pour répondre à l'appel de "Kaltan fils de Lycan". Le grand Tinkü allait s'ouvrir et les Arminoë au coeur noble venaient refleurir l'honneur de leur clan flétri par les rumeurs de traîtrise qui pesaient sur eux depuis le pillage d'Olonesse. Je ne pus découvrir si celles-ci étaient fondées, mais au vu de leur grandeur d'âme je ne puis qu'en douter.
Val Boissambre est un Val singulier. D'étranges créatures le
parcourent. Les pierres y pleurent du sang. Le sol y regorge de
richesses et 1000 espèces de plantes emplissent l'air de parfums
entêtants. La Bête n'y a qu'une faible empreinte: aucune de ses
engeances maudites ne s'y est montrée dans le temps où nous nous y
trouvions et les quelques pauvres hères contaminés par son immonde soif
de notre sang m'ont semblé moins nombreux qu'ailleurs. Pour les Kaltans,
il y a à ce fait une explication: la présence du temple de Gaïa. Il
n'était pas aisé d'accéder à cette étrange chapelle, car le clan marqué
de la ligne rouge, gardien du lieu tant que le Tinkü n'en avait pas
décidé autrement, en interdisait farouchement l'accès. On dit qu'un
Enfant de Gaïa y naquit durant la nuit, touchant au sortir du cocon le
shaman du peuple du Yack. Bon présage sans doute.
Près du
temple vivait aussi un couple bienheureux: la Princesse Feldael du
Bosquet et le joyeux Lartefas Vrillecorde. Derrière la porte rarement
close de leur chaumière le voyageur trouve toujours un bon accueil au
chaud autour d'une bonne bouteille. Il m'a semblé que bien peu de ces
Kaltans qui s'affrontaient si étrangement avaient trouvé l'entrée de ce
petit havre de paix.
Etrangement en effet: on vit des clans conter fièrement leurs exploits de chasseurs à la lueur brutale de grandes flammes tandis que d'autres pleuraient un frère tué lors de sa traque. et comme un défi lancé au fléau on vit les fiers guerriers des clans faire couler le sang de leurs frères pour prouver leur bravoure, parfois jusqu'à la mort.
Je savais que la vie de ce peuple est peut-être la plus rude des peuples unifiés, parcourant sans cuirasse les chemins et les bois, portant sur des lieues et des lieues les messages et souvent les espoirs de nos tristes forteresses. Je n'ai dons pas été surpris de la rudesse de leurs coutumes, même si notre expédition l'a souvent payé à haut prix, sans trop savoir pourquoi ni comment réagir à leurs provocations. J'ai en revanche découvert combien ces coutumes puisaient loin dans le passé de chaque tribu. Pour un chasseur Kaltan, le gibier ne peut être tué sans rendre grâce à la Mère, les ancêtres sont honorés à 1000 occasions et la Mère n'est pas un concept vide. Dans la plupart des clans que j'ai vu les Kaltans se présentent par leurs actes, leur histoire et leurs liens fraternels, bien plus que par leur nom. Quand tant d'autres croient que l'on n'existe que par ce que l'on possède, cette habitude est lourde de conséquences et pourrait inspirer bien des gens de nos villes.
Notre expédition aurait été un magnifique exemple de la capacité de
l'Unification à faire survivre ce qu'il y a de beau et de bon en ce
monde, si nous avions eu les yeux plus ouverts. Le Vénérable Linné
Mendel de Réomuür avait su réunir un groupe agile et solide. Je ne parle
évidemment pas tant ici des quelques étudiants de l'Académie qui
l'entourions que de ces vétérans Fiouls et Seekers, des braves prêtres
et marchands de Syphéa, de notre guide lycante Naryam et de la pauvre
Roovdark qui pour nous prévenir de l'approche de la Bête luttait si
courageusement contre les affres de son Appel.
Il y eut
quelques dissensions, car certains avaient été de l'aventure de la
Phalange du Bouc aux Portes de Tarkan et de stupides calomniateurs
avaient tôt fait de soupçonner sans fondement ces héros de demeurer
fidèle au triste Nathaël ou même à un fantomatique Seigneur Lex revenu
furieux et sanguinaire de sa bataille contre le Borgne. Je crains que le
vrai malheur de cette histoire soit de n'avoir pu ramener la dépouille
de Lex des terres de la Bête, car il est probable qu'ils seront nombreux
ceux qui croiront dans une ombre voir la silhouette glorieuse de l'ami
de Hans Seeker.
Mais je dois dire que le capitaine minotaure Kyros a su
remarquablement maintenir la discipline et la cohésion de l'expédition,
alors même que des imprudents s'embrumaient bêtement l'esprit avec
quelque racine à même de donner à un banni retors autant d'esprit qu'un
Karnak à long poil.
Le terrible échec du Vénérable, du Capitaine Seeker et de nous tous fut de ne pas voir le vrai danger qui guettait sous le Val.
Le clan à la ligne rouge était étrangement agressif et replié sur
lui-même. Nous découvrîmes aussi que certains guerriers du sanglier
avaient fait montre d'une fourbe violence,sans que cela éveillât
suffisamment notre vigilance. Enfin, et surtout !, il faut admettre que
nous fîmes preuve d'une coupable négligence quant aux deux ou trois
bandes de paysans et de forestiers qui arpentaient impunément le Val,
sans que le clan gardien semblât s'en émouvoir.
Avec le confortable recul de ma miraculeuse liberté, il me paraît
insensé que la plus élémentaire prudence ne nous ait fait voir combien
les préoccupations de ces gens étaient loin des Sept et de
l'Unification. Le récent pillage d'Olonesse aurait dû nous mettre la
puce à l'oreille, mais ce n'est qu'à la fin du Tinkü, dont le clan
Arminoë fut sans conteste l'honorable vainqueur, que nous comprîmes
enfin dans quel nid de guêpe nous avions mis le pied.
Les légions de Mad jaillirent des puits et se ruèrent sur
l'assemblée, tandis que les assassins cachés parmi les clans égorgeaient
au coeur de nos rangs. Il ne fallut alors que quelques instants pour
que tous nos protecteurs soient à terre, qu'importe leur vaillance.
Quelques
lâches, dont j'étais, parvinrent à s'enfuir, la tête à jamais pleine
des cris de nos frères tués ou emprisonnés par ces humains perdus qui ne
sont plus que des bêtes.
Nous avions vécu à Val Boissambre un temps tellement plus calme que ce que nos coeurs avaient craint ! C'était en réalité que la fournaise mortelle couvait sous nos pieds mêmes, et ma culpabilité ne s'arrête pas à ma fuite. Depuis mon retour à Tanarisse en effet j'ai consulté les grimoires que je n'avais parcouru que négligemment avant notre départ, et j'y ai découvert que sous Val Boissambre s'étendaient les ruines de Bassemine, abandonnées autrefois par les nains pour une raison qui me reste inconnue...et qu'importe ! Car ce qui désormais me semble clair est que le maléfique Mad en personne a dû réunir son soit-disant peuple dans ces souterrains sur lesquels nous installâmes nos tentes. C'est à partir de Bassemine que les canines ont préparé le pillage d'Olonesse. A partir de Bassemine que si nous ne les arrêtons pas elles brûleront Tanarisse.
Le chagrin me dévore, mais je ne peux m'y abandonner pour l'heure. La tragédie de Val Boissambre n'a pas encore vécu son dernier acte.
Mek de Tanarisse, survivant Veldt de l'expédition du Vénérable Linné Mendel de Réomuür à Val Boissambre